Quel meilleur sujet pour un premier article que d’évoquer celle qui a prêté son nom à notre association : Mnémosyne.
Personnification de la mémoire, peu connue du grand public (et probablement également d’un grand nombre de spécialistes de l’Antiquité), Mnémosyne n’est mentionnée que par de rares textes grecs. Ces derniers mettent surtout en évidence sa place dans l’immense arbre généalogique des dieux et des déesses de la Grèce antique. Dans les œuvres d’Hésiode, de Diodore de Sicile ou encore d’Apollodore, elle est l’une des Titanides, les filles d’Ouranos et de Gaïa [1]. Elle fait ainsi partie de la génération précédant les célèbres dieux de l’Olympe. Dans la Théogonie (VIII-VIIe s. av. n. è.), c’est sur un autre rôle – celui de mère – qu’insiste Hésiode (VIII-VIIe s. av. n. è.). Il faut dire que ses filles ont connu une célébrité bien supérieure à la sienne. En effet, Mnémosyne est la mère des neuf Muses. Rien que ça.
C’est en Piérie qu’unie au Cronide (Zeus), leur père, les enfanta Mnémosyne, reine des coteaux d’Éleuthère, pour être l’oubli des malheurs, la trêve aux soucis. À elle, neuf nuits durant, s’unissait le prudent Zeus, monté, loin des Immortels, dans sa couche sainte. Et quand vint la fin d’une année et le retour des saisons, elle enfanta neuf filles, aux cœurs pareils, qui n’ont en leur poitrine souci que de chant et gardent leur âme libre de chagrin, près de la plus haute cime de l’Olympe neigeux. Là sont leurs chœurs brillants et leur belle demeure. (Hésiode, Théogonie, 51-64)
Par l’intermédiaire de ses filles qui ne cessent d’inspirer les artistes, Mnémosyne est à la source de toute création artistique. D’elle découle ainsi la poésie, la danse, la musique, ou encore l’histoire. C’est le plus souvent en présence des Muses, mais aussi d’Apollon, dieu protecteur de la musique et des arts, que notre déesse est représentée. Pausanias (IIe s. apr. n. è.), dans sa Description de la Grèce (I, 2, 5), mentionne une statue de Mnémosyne à Athènes, placée aux côtés de celles d’Athéna, de Zeus, des Muses et d’Apollon. Selon le même auteur (VIII, 47, 4), une autre statue de la déesse se trouvait à Tégée, en Arcadie, accompagnée cette fois-ci seulement de ses filles.
Le lien qui unit notre déesse de la mémoire à la création artistique n’a rien d’étonnant dans une société grecque à la culture encore largement orale. Mnémosyne est celle à qui l’on doit, selon Diodore de Sicile, « les moyens de rappeler la mémoire des choses passées dont nous voulons nous ressouvenir » (Bibliothèque historique, V, 67). Elle est indispensable à tout poète pour qu’il soit en mesure de réciter par cœur son œuvre, mais également de la composer, car c’est à travers elle que les événements du passé sont conservés dans les esprits. Le même auteur attribue un autre héritage à la mère des Muses : elle serait celle qui « imposa des noms à tous les êtres, ce qui nous permet de les distinguer et de converser entre nous » Bibliothèque historique, V, 67). Mnémosyne est ainsi une déesse indubitablement liée à la capacité de transmission des savoirs et des arts.

Fille d’Ouranos et de Gaïa, mère des neuf Muses et des formes artistiques qu’elles représentent, déesse à l’origine de notre faculté de nous souvenir et qui a nommé tout ce qui nous entoure, Mnémosyne possède de multiples facettes.
Malgré cela, à l’image d’autres divinités primordiales, elle n’a pas fait l’objet d’un culte majeur durant l’Antiquité.
Malgré cela – et c’est un comble pour une déesse de la mémoire –, son nom a été largement oublié à notre époque, au profit des célèbres dieux et déesses de l’Olympe.
Parce que Mnémosyne incarne la mémoire et que celle-ci est essentielle à toute science historique,
Parce que Mnémosyne a enfanté les Muses, qui elles-mêmes sont à l’origine d’une partie de notre culture,
Nous avons choisi d’emprunter son nom pour notre association.
En espérant qu’une trace – même infime – des animations ou des évènements que nous avons proposés (et que nous proposerons) subsisteront dans les mémoires de celles et ceux qui y ont participé !
[1] Apollodore, Bibliothèque, I, 1, 3 ; Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, V, 66 ; Hésiode, Théogonie, 135.
Bibliographie
Chatzivasiliou D., « Mnémosyne, mnémé, memoria », in : Berthou A., Scheid J. (dirs), Les arts de la mémoire et les images mentales, 2018, p. 45-60.
Notopoulos J. A., « Mnemosyne in Oral Literature », Transactions and Proceedings of the American Philological Association 69, 1938, p. 465-493.
Raymond-Dufouleur E., « Virgile, la mémoire et les Muses : l’innovation derrière la tradition », Interférences 9, 2016 [en ligne].
Vamvouri Ruffy M., « Relation avec le dieu dans les Hymnes homériques », in : Vamvouri Ruffy M., La fabrique du divin, 2013, p. 73-92.
Van Heems G., « De Mnemosyne à Memoria : conception et personnification de la mémoire chez les Grecs et les Romains », Sens-Dessous 28, 2021, p. 149-157.
Provenance de l'image : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mosa%C3%AFque_murale_Mn%C3%A9mosyne.jpg, consulté le 07.02.2025
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